SILENCE! ON MANGE.

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Encore faut-il savoir cuisiner…

Une Vie tranquille, Claudio Cupellini (2011) et Les Conséquences de l’amour, Paolo Sorrentino (2005)

Vous l’avez bien compris depuis le temps, un film ça se fait à partir d’ingrédients. Comme en cuisine, les ingrédients sont la base essentielle, le point de départ, mais ce ne sont pas eux qui déterminent la qualité du plat, ni qui le définissent entièrement. J’en prend pour preuve l’émission Top Chef (eh ouais) dans laquelle à partir d’un panier commun, les candidats doivent créer une recette, et vous pouvez être sûrs qu’il y a à chaque fois autant de recettes différentes que de candidats. Au cinéma c’est pareil. Quand on fait un remake d’un film, on obtient deux films différents. Ou deux films avec les mêmes acteurs peuvent être totalement différents.

Rosario le barbu ...

Pourquoi je vous parle de ça me direz-vous ? Excellente question vous répondrai-je. C’est parce que mercredi est sorti en salle Une Vie tranquille, un film italien avec Toni Servillo, concocté par Claudio Cupellini, avec un un grand nombre d’ingrédients déjà utilisés par Paolo Sorrentino dans Les Conséquences de l’amour (sorti en 2005). En effet, les deux films relatent des histoire de mafia (1) qui se passent à l’étranger (2) dans lesquelles se retrouvent mélées des histoires personnelles (3) tournant autour du milieu de l’hôtellerie (4) et surtout mettant en scène le grand acteur napolitain Toni Servillo (5). Autant d’ingrédients aussi savoureux dans un film que dans l’autre, bien qu’ils ne se ressemblent pas du tout. D’autant plus que Une Vie tranquille a été écrit en même temps que Les Conséquences de l’amour, même si il sort bien après. Il n’est pas question de parler de copiage donc, c’est plutôt l’idée que les deux réalisateurs sont allés au même marché, on visité les mêmes stands mais proposent finalement des menus différents.

... et Titta le lunettu

Dans les deux films, Toni Servillo joue des hommes qui ont servi la Camorra et qui l’ont déçue. Tous les deux risquent la mort à chaque coin de rue et mènent donc des vies discrètes. « Une vie tranquille » c’est aussi bien celle de Rosario Russo (Une vie tranquille) que de Titta di Girolamo (Les Conséquences de l’amour). La différence, et elle n’est pas des moindres, c’est que la vie tranquille de Rosario lui sert à se cacher, c’est une accalmie dans une vie en fuite. Celle de Titta en revanche est une façade, un masque, puisqu’il est toujours lié à la Camorra et expatrié seulement par punition. Le calme avant la tempête d’une part, le bouillonnement sous une surface lisse de l’autre.

Un autre ingrédient commun est inévitablement le suspens, l’angoisse, la violence. Encore une fois, le traitement est très différent d’un film à l’autre. Dans Les Conséquence de l’amour, le suspens vient d’une absence d’information, qui est cet homme ? Que fait-il dans cet hôtel ? Pourquoi vit-il si loin de sa famille ? Les réponses sont apportées au compte-goutte, mais une ambiance de mensonge règne dès le début, Le jeu de Toni Servillo y est pour beaucoup, son visage est impassible, comme un masque servant à cacher la vérité. Il se tient constamment à distance, par le physique et par la parole. En Rosario en revanche, il joue l’homme qui joue le parfait italien. Bon vivant, drôle, enjoué, il cherche avant tout à paraître normal. Le suspens et la tension vont venir d’autres personnages, louches qui en apparaissant dans la vie de Rosario vont faire naître des fissures dans la façade de normalité qu’il avait réussi à se construire.

Bonjour monsieur le pistolet !

D’un point de vue esthétique, les deux films ne pourraient être plus différents. Certes, tous deux jouent sur des couleurs sombres, froides, des gris, des noirs. C’est aussi lié aux pays où les histoires se déroulent, l’Allemagne et la Suisse ne sont pas réputée pour leur ambiance chaleureuse. Mais le montage des Conséquences de l’amour est bien plus mécanique, plus lent aussi que celui d’Une Vie tranquille qui repose sur des rythmes narratifs plus classiques. Le film de Paolo Sorrentino joue sur la géométrie, les lignes droites, la symétrie, les reflets et une déshumanisation des corps avec un jeu très désincarné. La mise en scène de Claudio Cupellini en revanche est bien plus humaine, reposant beaucoup sur le jeu des acteurs, naturaliste. Dans Une Vie tranquille des êtres testent leur propres limites, font appel à un instinct de survie encore humain, alors que dans Les Conséquences de l’amour le protagoniste n’est déjà plus qu’un corps vide, une présence creuse.

Voilà comment deux films qu’une simple liste d’ingrédients semblait rapprocher, se révèlent être incroyablement différents, preuve rassurante de l’incroyable diversité des sensibilité et imaginations.

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Initiation à la coulrophobie

Balada Triste, Alex de la Iglesia (2011)

Balada Triste est un film très personnel dans lequel Alex de la Iglesia se livre beaucoup, malgré le fantasque, l’absurde, le style si peu réaliste. Il s’agit d’un magnifique pot-pourri cauchemardé de l’imagerie de l’Espagne franquiste des années 70. Avec une image sublimement léchée, Alex de la Iglesia crée un tourbillon d’images toutes tirées de son enfance : télévision, cirque, attentats, symboles religieux. Tout se confond en un cauchemars beaux et affreux pour raconter l’histoire de deux clowns, Javier le clown triste (Carlos Areces) et Sergio le clown Auguste (Antonio De La Torre) qui se disputent l’amour de la belle acrobate, Natalia ( Carolina Bang).

L’esthétique de Balada Triste est absolument irréprochable, tout simplement sublime. La mise en lumière, le rythme, la musique, tout s’accorde pour créer un univers entre beauté, violence et étrangeté. Là où le film pêche un peu, c’est dans le scénario. Une première partie réussie et efficace laisse place à une fin un peu laborieuse et répétitive, où les personnages avancent péniblement et où la violence devient difficilement soutenable. La descente en enfer – peut-on parler de descente quand le film débute en enfer ? – s’accélère brutalement, nous plongeant encore plus profondément dans l’absurde et la folie.

En fait, le spectateur un peu perdu doit accepter d’être porté par la violence, renonçant à comprendre les motivations des personnages devenus des êtres brutaux et enragés. Si la raison ou les passions (amour, jalousie, vengeance) étaient le moteur du film au début, progressivement la violence prend le dessus, entraînant toujours plus de violence. Les personnages deviennent des allégories des maux de l’Espagne franquiste, marionnettes dégénérées sans aucune voix d’issue. On sent une forte volonté d’exorciser le souvenir difficile de cette sombre époque. Balada Triste est donc une expérience cinématographique marquante, par moments difficile, mais incontournable.

Sortie le 22 juin

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Oh l’aubergine!

La cuisine et les recettes familiales sont très importantes en Italie, et si les hommes sont réputés plus machos, ça ne les empêchent pas d’avoir l’âme culinaire aussi développée que celle de leur mères. Gianni di Gregorio ne fait pas exception et il passe une bonne partie de ses films dans la cuisine, un verre de vin blanc à la main.

Dans son dernier film, une parmigiana di melanzane (sorte de gratin d’aubergines) est même au cœur d’un conflit familial. Et comme c’est un de mes plats préférés, je vous en propose la recette, parce qu’elle est en thème, parce qu’elle est de saison, parce que c’est si bon.

Bon, j'avoue, cette photo est tirée du Déjeuner du 15 août et pas de Gianni et les femmes. En plus ils sont en train de faire des pâtes.

La Parmigiana di melanzane (di mamma)

1,8 kg d’aubergines
Huile de friture, de quoi remplir une poêle
2kg de tomates fraîches ou 1,5kg de tomates pelées en boîte
Un petit morceau d’oignon haché
Basilic en abondance
300g de mozzarella
2 oeufs
8 cuillerées de parmesan râpé

Coupez les tomates en deux (si vous avez des tomates fraîches vous les aurez pelées en les plongeant une minute dans l’eau bouillante), mettez-les à égoutter une demie-heure dans une petite passoire, puis faites-les bouillir avec un peu d’oignon et de basilic.

Quand elles seront à peine molles, après les avoir de nouveau égouttées, passez-les au tamis et remettez sur feu doux pour que la sauce épaississe bien. Salez seulement à la fin et n’ajoutez pas de matière grasse.

Après les avoir épluchées, coupez les aubergines dans la longueur en tranches d’un demi centimètre d’épaisseur, empilez-les avec du gros sel entre deux assiettes et recouvrez d’un poids pour les faire dégorger pendant une petite heure. Ensuite, lavez-les, pressez-les et essuyez-les. Faites chauffer à feu vif une poêle pleine d’huile et quand ce dernier fume, plongez-y les aubergines. Sortez-les dès qu’elles sont colorées des deux côtés et faites-les reposer sur du sopalin pour absorber l’huile. Vous pouvez aussi choisir de les faire griller au four, le résultat sera plus léger.

Coupez les feuilles de basilic en petits morceaux et la mozzarella en petites tranches fines.

Etalez une ou deux cuillères de sauce au fond d’un plat d’environ 23 cm de diamètre et de 5 cm de hauteur.

Battez les deux œufs avec un peu de sel et 8 cuillères de sauce.

Déposez dans le plat un tiers des aubergines, en les faisant se chevaucher légèrement, saupoudrez de deux cuillères de parmesan, de basilic et de 2 ou 3 cuillères d’oeuf battu, en l’étalant uniformément avec une autre cuillère de sauce simple, puis étalez la moitié de la mozzarella.

Faites une seconde couche comme la première. Après avoir recouvert celle-ci d’une troisième couche d’aubergine, assaisonnez avec 2 cuillères de parmesan, beaucoup de basilic, la sauce à l’œuf restante et, si elle ne parvient pas à recouvrir entièrement les légumes, avec de la sauce simple. Finissez avec encore un peu de fromage et enfournez à basse température pendant une demie-heure-3/4 d’heure, en augmentant la température dans les dernières minutes.

La parmigiana ne se consomme pas chaude, il faut la laisser tiédir, voire refroidir complètement.

Et bon appétit!

Photo méchamment retouchée dans le vain espoir d'en améliorer la qualité. (Le pire c'est qu'effectivement elle est mieux comme ça.)

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Gianni di Gregorio uncovered

A force d’annoncer partout la mort du cinéma italien certains risquent de rater sa résurrection. Et la comédie italienne est bel et bien de retour, ne vous y trompez pas, en la personne de Gianni di Gregorio, entres autres. Arrivé tardivement à la réalisation, Gianni di Gregorio a longtemps été scénariste, et pas toujours de films rigolo puisqu’il a participé à l’écriture de Gomorra de Matteo Garrone. Son premier film en revanche est bel et bien une comédie : il sort en 2009 Le Déjeuner du 15 août, fiction autobiographique dans lequel il jouait un fils unique s’occupant tant bien que mal de sa mère et qui se retrouve à babysitter plusieurs vieilles femmes pendant que tout le monde est à la place pour le 15 août. Cette comédie qui renoue avec la tradition de la comédie à l’italienne avait su séduire public et critique, succès inattendu, surtout pour le réalisateur lui-même.

 De retour pour nous jouer des mauvais tours, Gianni di Gregorio sort son deuxième film Gianni et les femmes, dans lequel on retrouve Gianni-personnage et sa terrible mère. Vous trouverez ma critique du film sur Toutlecine.com, je vous propose de découvrir ici l’interview haute en couleur du réalisateur.

Gianni et les femmes est à déguster accompagné d’une parmigiana di melanzane, recette certes pas romaine mais présente dans le film et surtout délicieuse, en particulier quand faite par ma maman. (Mais pour ça il faut aller chez Aprile, 4, ruelle de la Boucherie à Nice)(Oui, je fais de la pub pour la famille, et alors?)

✻ ✻ ✻

Tu as commencé par faire du théâtre et il paraît que c’est le film Mean Streets de Martin Scorsese qui t’a donné envie de passer au cinéma, c’est vrai?

C’est vrai oui, parce que j’ai commencé par faire une école de théâtre assez importante à Rome, c’était l’école d’ Alessandro Fersen, un metteur en scène d’origine polonaise, et là j’ai étudié la mise en scène et le travail d’acteur. Puis pendant 3 ou 4 ans j’ai travaillé au théâtre. Un soir, à Milan, j’étais allé au cinéma dans l’après-midi, parce que le soir il fallait être au théâtre à 20h, et y avait Mean Streets, et pour être à l’heure je devais perdre la fin! Il manquait un quart d’heure, ce n’était pas possible! Alors tant pis, pour une fois j’arriverais en retard, et j’ai payé l’amende, parce qu’y avait une amende, très forte, pour les retardataires. Mais je me suis dit tant pis, je serai en retard. Et depuis ce jour-là j’ai pensé que moi le théâtre… c’était bien mais moi je devais faire du cinéma. Le film m’avait vraiment bouleversé, parce qu’il allait vraiment dans la réalité, de façon si profonde, cette manière de raconter ces histoires si proches du vrai, un cinéma différent en somme, ça m’a vraiment ému. Donc à partir de là j’ai commencé à faire l’assistant-réalisateur, le scénariste, à travailler au cinéma, depuis ça.

C’est marrant parce qu’on a du mal à retrouver l’influence de Scorcese dans tes films!

(rires) Non, en effet, c’est vrai! Disons que j’aime beaucoup le cinéma épique, dramatique, même le cinéma social. Mais après dans mes films je fais toujours dans la comédie, sur des thèmes très petits, intimes, j’aime aussi parler des gens ordinaires, de l’homme quelconque, mais d’une toute autre façon. J’aime beaucoup le sens comique, je l’ai vraiment en moi, parce qu’au fond c’est une technique de défense contre la peine, les difficultés, tout de suite je me mets à rire. C’est arrivé que je travaille sur des films très sérieux, comme Gomorra, mais même quand j’écris avec les autres j’ai toujours des choses qui font rires qui me viennent, puis les autres les coupent, d’abord ils rient, puis ils me disent « non, on peut pas mettre ça quand même » (rires). C’est vraiment un réflexe, même dans les scènes dramatiques, de mettre toujours un éléments de dissonance comique, ça vient sûrement de mon éducation, je suis fils unique d’une famille très traditionnelle, très formelle, donc ma façon de me défendre était de rire de tout, même à l’école on me mettait dehors parce que je riais tout le temps.

Utiliser le rire pour parler de thèmes sinon tabous, voire censurés, fait justement partie de la tradition de la grande comédie à l’italienne, c’est un héritage dans lequel tu te reconnais ?

Oui, je m’y reconnais, tu as raison, parce que là on parlait de choses même très sérieuses, de thématiques sociales, en riant, le rire est vraiment un moyen. Je crois que vraiment certains sujets ne peuvent être affrontés qu’avec une certaine ironie, parce que sinon on risque une certaine pesanteur. Donc oui, la comédie à l’italienne m’a formé, beaucoup, il y a des films magnifiques que je regarde encore, beaucoup même. Et maintenant ils ont à mon sens encore plus d’importance, par rapport à ce qu’on fait aujourd’hui, parce que dans ce genre de comédie on creusait, alors que maintenant on fait une comédie très télévisuelle, je ne sais pas comment la définir, où on ne dit pas grand chose. J’espère qu’en Italie, à force de travail, on revienne un peu à ce genre là.

C’est vrai que malgré un renouveau du cinéma italien ces dernières années, il n’y a toujours pas beaucoup de comédies, tu penses que ça va venir?

Écoute, des comédies il y en a, mais je crois qu’elles ne vont pas assez en profondeur, si on creusait plus ça pourrait renaître je crois. On devrait avoir le courage en Italie de nous regarder en face, de rire de nous-mêmes, c’est ça qui manque. Parce que la comédie à l’italienne, elle pouvait être sans pitié, mais y avait une humanité, c’était l’Italie qui se racontait, avec son désespoir, sa misère, mais c’était un regard authentique, plein de compassion, d’amour. Maintenant il manque cette auto-ironie, on fait des comédies mais elles ressemblent à de la télé. On devrait avoir le courage de nous re-moquer de nous-mêmes et de dire nos propres misères parce qu’au fond c’était ça la comédie, la misère mais en riant comme des fous. Mais bon, il y a pas mal de grands succès public, donc les gens vont de nouveau au cinéma et c’est toujours un bon début, et puis la tendance est d’éviter la vulgarité qui était trop présente, les gens ne vont plus voir ces films vulgaires qui ont monopolisé l’Italie pendant des années, tant mieux.

Pour revenir maintenant au début de ta carrière, après avoir fait la transition du théâtre au cinéma tu as mis longtemps avant de passer derrière la caméra pour réaliser ton premier film, Le Déjeuner du 15 août, pourquoi?

Eh bien, disons que je suis assez timide de nature. Pendant longtemps j’ai été assistant, et puis à un moment j’ai préféré carrément être derrière la table, c’est une défense ça aussi, tu sais quand t’écris tu es protégé par une table. Puis en 2000 j’ai connu Matteo Garrone (réalisateur de Gomorra, ndlr) et on a commencé une collaboration sur le plateau de tournage, je suis redevenu un peu celui que j’étais plus jeune, l’ouvrier, celui qui finalement fait un peu tout sur le plateau. Et ça, ça m’a à nouveau immergé vraiment dans l’envie de faire, plus seulement d’écrire mais de réaliser. Donc j’y ai mis longtemps, oui, j’ai réalisé mon premier film à 58 ans, t’imagines! Mais au moment où je le faisais, toutes les expériences anciennes ont conflué, tout ce que j’avais fait m’a aidé, j’ai compris qu’on ne jette rien. Je me suis senti comme si je le faisais depuis des années, très étrange. Ça a été très beau pour moi, surtout que ce premier film quand je l’ai écrit je ne pensais pas le réaliser moi-même, je l’écrivais pour le vendre. Mais je l’ai fait lire et par chance personne n’en a voulu! (rires) Moi je disais « Mais c’est drôle, tu sais! » et tout le monde me répondait « Mais tu es fou, cette histoire avec ces quatre vieilles nonagénaires… J’en veux pas! ». Même mes amis réalisateurs, personne n’en voulait. J’étais prêt à tout, j’aurais accepté un prix misérable, personne n’en voulait. Jusqu’au jour où j’en ai eu marre et j’ai décidé de le faire moi-même parce que je n’avais pas envie de jeter le projet. Quelle chance quand même, ça a changé ma vie!

Et alors d’où est venue cette curieuse idée d’écrire un film sur ces petites vieilles?

Alors ça c’est très, très autobiographique. Parce que ma mère dans ses 10-12 dernières années était veuve, je suis fils unique, et en Italie il y a cette relation mère-fils très méditerranéenne… dont j’ai été victime. Parce que j’avais une famille, une femme, deux filles, mais ma mère voulait que je sois tout le temps chez elle, je devais vivre là-bas, alors j’étais tout le temps divisé, je faisais des allers-retours. Et je suis resté avec elle pendant des années, et je la voyais avec toutes ses copines, je m’amusais beaucoup de tout ce qu’elles faisaient, et le film est né là, du monde de ces vieilles dames pleines de vie, même à 80, 85, 90 ans. Une vraie leçon de vie, elles riaient, s’amusaient comme des folles, contrairement aux hommes, plus tristes, alors que les femmes ont quelque chose de vital. Donc j’ai eu l’idée de cette histoire délirante, mais ça naît vraiment de l’autobiographie, je ne pouvais pas ne pas faire un film sur cette vitalité extraordinaire.

 

Mais donc le projet est venu sur le coup ou plus tard en repensant à cette expérience?

En fait c’est une chose bizarre, pendant que je le vivais, un peu je m’amusais, mais c’était aussi très pesant, j’étais très déprimé, je buvais aussi, pendant que je faisais mon devoir de fils. Puis, avec un peu de recul, j’ai écrit des pages, qui étaient plutôt de la prose en fait, de défoulements. Pour moi c’était terrible, plein de douleur, de souffrance, je m’étais vraiment défoulé, et c’était cinquante petites pages. Je les ai faites lire à un ami psychanalyste. Et il m’a dit : « C’était à mourir de rire! » (rires) Et là j’ai eu le déclic, ce film je devais le faire volontairement comique, comme ça j’aurais peut-être le courage. Donc ça c’est passé comme ça, une maturation et puis ça… Mais sur le coup j’étais vexé quand il m’a dit ça! J’avais honte, de la culpabilité de tous les côtés, je ne l’aurais jamais fait lire, par pudeur. Puis à partir de ça je me suis libéré et j’ai un peu fait la paix avec cette figure maternelle avec ce film. Puis disons que toutes ces années où je me suis consacré à elle étaient un peu douloureux mais elle m’a repayé en quelque sorte avec une carrière cinématographique, je ne peux plus rien dire! (rires)

La femme qui joue ta mère dans les deux films, l’incroyable Valeria de Franciscis, comment tu l’as rencontrée?

Cette dame, 95 ans aujourd’hui, est fantastique je dois dire. C’était une amie de famille et en fait elle ressemble beaucoup à ma mère niveau caractère, quand je l’ai connue je me suis dit que si je faisais le film il fallait que je la prenne elle. Parce qu’après seulement quelques minutes elle me traitait exactement comme ma mère, tu sais ces choses gentilles mais qui t’asservissent : « Vu que tu es debout, tu peux… ». Alors j’ai compris que ça devait être elle, puis elle une verve… D’ailleurs dans le deuxième film, j’avais écrit un petit rôle pour la mère, puis pendant le tournage cette figure maternelle est devenue encore plus grande, et plus méchante aussi, elle ressemble encore plus à ma mère comme ça ! (rires)

L’idée de ce deuxième film Gianni et les femmes est venue comment, elle?

Celle-ci en revanche n’a pas été murie longtemps, elle m’est venue ces derniers mois, de la constatation que à cet âge les femmes ne te regardent plus, tu peux faire n’importe quoi, tu peux te mettre le feu, ou plutôt : tu devrais te mettre le feu pour te faire remarquer ! (rires) J’avais déjà remarqué ça et après le succès du premier film j’ai vu que peu importe la célébrité, après un certain âge on ne te regarde plus comme quand tu étais jeune, et c’est juste comme ça. Mais cette chose normale est une souffrance terrible ! Et je voyais mes amis, certains l’avouent, d’autres font semblant de rien, mais je voyais bien la panique chez eux et chez moi. Et donc encore une fois le film a été une sorte d’exorcisme, je me suis dit « voyons si en riant dessus cette chose terrible s’en va », et non, ça ne part pas, au contraire je crois que ça a empiré après le film ! (rires) J’aimais aussi me moquer de ceux de mon âge qui cherchent à draguer des jeunes filles, ça me fait toujours beaucoup rire. J’aimais aussi parler de ça, du fait qu’il faut toujours aimer, toujours tomber amoureux mais en faisant les comptes avec la réalité! C’était ça l’idée. Et je dois dire que le film plaît plus aux femmes. Parce que les hommes sont là « ah non, moi je ne suis pas comme ça », mais pourquoi, tu as soixante ans comme moi, non? Les hommes se sentent touchés alors que les femmes s’amusent beaucoup et ça me plaît parce que c’était un peu ce que je voulais, il y a de la critique ironique. Parce que le mâle italien est surtout une créature mythique, dans la réalité ils sont bien plus sensibles que ce qu’on veut faire croire depuis des années. Donc j’avais envie de dire l’amour pour les femmes, en général, sans la conquête, mais comme tu peux aimer je sais pas, la lumière du soleil, c’est-à-dire quelque chose qui tiens en vie aussi.

Après le succès du premier film, est-ce que tu ressentais un peu d’appréhension pour ce deuxième film?

Oui, énormément, beaucoup d’appréhension et de peur. Peur parce que je sentais que j’avais une certaine responsabilité. Et l’autre film avait été si bien accueilli… Puis les films tu les comprends toujours après, en parlant avec les critiques, la presse, le public, j’ai compris que tu comprends ton film après coup. Parce que d’abord, quand tu écris le scénario tu crois savoir, sur le tournage il arrive de tout, tu es trop occupé et tu n’as pas la moindre idée. Puis y a période un peu comme ça, avec le montage et tout… Puis une fois que le film est parti, qu’il s’est détaché, en parlant avec les gens, ils te l’expliquent et c’est très beau. Et ça, ça augmentait la peur, la responsabilité. J’ai réussi à trouver le courage à mon avis parce que je sentais vraiment le film, si ç’avait été quelque chose de plus construit je ne l’aurais pas fait, mais là je sentais qu’il y avait quelque chose à dire, d’urgent même, c’est pourquoi j’ai trouvé le courage de le faire, mais j’avais très peur.

Justement à propos de réception du film, comment tu prends le fait que Berlusconi et le Rubygate sont souvent évoqués pour parler du film qui est perçu comme une opposition à cette représentation de la femme berlusconienne ?

C’est vrai que sur le moment je n’y pensais pas du tout, surtout que le scandale a éclaté après l’écriture, mais après j’ai été content. Parce qu’au moins on voit qu’il y a une toute autre façon de regarder les femmes, d’aimer les femmes, de penser aux femmes en Italie, qu’il n’y pas que la sienne. E finalement j’étais satisfait, parce que je me suis dit « tu vois, au moins tu arrives à un moment où il y a une distinction énorme à faire » et j’espère que la majorité des gens sont comme moi et pas comme lui ! Je pense que c’est vraiment un cas à part, presque pathologique, ça m’a fait plaisir de parler de la normalité. J’espère qu’avec ce film je donne voix à tous ceux qui ont une vie normale.

Pourquoi avoir choisi de jouer toi-même le rôle de Gianni ?

C’est encore une histoire bizarre. Pour le premier film j’avais un budget vraiment ridicule, 500 000 euros. J’avais l’histoire, j’avais tout : je n’avais pas l’acteur. Déjà un acteur peut te demander même 300 000 euros, donc, bon, voilà, après je le filmais avec quoi? Donc j’étais plutôt inquiet, j’ai cherché partout, j’ai même demandé à des amis, aucun n’étaient vraiment emballé. Et là c’est Matteo Garrone qui m’a dit « fais-le toi, l’histoire c’est la tienne, c’est toi qui a viré à demi alcoolique au bar d’en bas, fais-le toi. » Et là j’ai eu un instant de panique mais je n’ai pas eu vraiment le temps de m’inquiéter, d’y penser, il m’aurait suffit d’une ou deux semaines et j’aurais commencé à douter mais là c’était genre le vendredi pour le lundi, il fallait commencer le tournage tout de suite et alors je l’ai fait moi-même. Et heureusement que j’avais fait cette école de théâtre, là encore confluait l’expérience d’acteur, même si je ne l’avais jamais vraiment été, à part quelques petits trucs pour les amis mais je n’avais pas cette… Tu sais pour être acteur il faut aussi s’aimer alors que moi tous les matins quand je me vois dans la glace je me dis « mais regardez-moi ce crétin! » (rires) Mais étant obligé de le faire, je l’ai fait, simplement, et puis ça a marché, aussi parce qu’avec Valeria on a cette relation si naturelle.

Pour le deuxième film ça m’a carrément été demandé, on m’a dit il faut que tu le fasses toi. Moi au contraire j’espérais qu’il prenne quelqu’un… Parce que pour moi c’est plus tranquille de diriger, c’est une fête, mais faire l’acteur c’est très fatigant. Et donc cette fois ils me l’ont demandé et je l’ai fait mais mon rêve c’est dans un autre film de me libérer un peu de moi. Mais je ne sais pas encore si je vais pouvoir le faire, ou si je dois faire un troisième film comme ça et puis après peut-être… Parce que j’aimerais faire une toute autre histoire, ça me plairait bien, quelque chose de moins viscéral. Je dois y réfléchir encore. Même si je crois que dans ce personnage écrasé par le pouvoir, le pouvoir maternel, dont j’aime penser qu’il représente le pouvoir en général, je crois qu’il y a encore de la matière à creuser, mais je ne voudrais pas me répéter, c’est délicat. Si j’ai une idée qui me semble nécessaire à exprimer il se peut que je fasse un troisième film comme ça, c’est probable même, mais si je ne suis pas sûr d’avoir suffisamment de matière, je ne le ferai pas.

Et avec les autres acteurs comment tu travailles ?

J’utilise un jeu très naturel, un peu celui qu’on essayait de faire dans cette école, c’est-à-dire d’enlever tout ce qu’il y a de formel, de construit, et d’aller toujours au plus près du réel, qui est en fait la méthode classique de Stanislavski, qui intériorise la fonction de l’acteur. Et donc disons qu’en étant très naturel au final avec eux je crois que je les mets à l’aise, je les empêche au fond de jouer. Je dis toujours qu’il faut oublier la caméra qui bouge, j’aime beaucoup que la caméra soit en mouvement, même si on décide un cadrage fixe je dis aux acteurs « si tu veux te lever, lève-toi, on te suivra ». L’important c’est le sens de la scène, les paroles n’ont pas vraiment d’importance pour moi, ce qui dit par un scénariste est un comble! (rires) Mais je le pense vraiment. En plus avec les vieilles dames ça n’aurait pas vraiment été possible de se tenir au texte! (rires) Et donc je fais tout le temps comme ça, la caméra suit. Je me souviens sur le premier film y avait une scène dans laquelle deux dames parlaient, on les filmait, elles étaient dans la petite cuisine, puis elles sont parties, en parlant, c’était superbe. Et alors tout le monde voulait couper et moi j’ai dit « non, on attend, si ça se trouve elles vont revenir ». L’équipe s’impatientait, la pellicule tournait… Et elles sont revenues, en papotant, c’était incroyable, et alors, tu vois? Je les aide à être le plus naturel possible ce qui plaît beaucoup aux acteurs parce qu’ils n’ont pas l’angoisse du texte… C’est comme les castings, je n’en fais jamais, ça énerve tout le monde, surtout les producteurs… Parce que quelqu’un qui fait un essai écrit, ça ne peut pas lui réussir, ces quatre lignes, qu’est-ce qu’il en sait le pauvre? Pour moi un casting c’est une discussion, je cherche à comprendre comment est la personne et parfois j’adapte le personnage pendant le tournage, si je vois que cette personne a des particularités intéressantes alors je cherche tout de suite à les lui voler. Et je dois dire que quand ça marche ça donne vraiment quelque chose d’authentique.

Quel effet ça fait de voir que des films aussi personnels et intimes sont distribués dans le monde entier, sont sélectionnés à Berlin ?

C’est vraiment beau, de temps en temps quand j’ai des moments où je me sens un peu couci-couça je pense à ça, je me dis « mais tu te rends compte, tu fais un film sur maman et… » C’est vraiment quelque chose qui me procure une joie profonde, c’est la plus belle chose. Parce qu’au fond la vie que je mène n’a été bouleversée sous aucun point de vue, mais cette satisfaction profonde c’est le vrai changement, cet apaisement. J’ai passé tant d’années depuis que je suis jeune à essayer de faire du cinéma, de raconter, et finalement c’est possible. D’ailleurs je le dis tout le temps, surtout aux jeunes, ça peut arriver, si tu t’y mets, ce que tu désires, ça arrive. C’était beau parce que j’ai vu beaucoup de gens de mon âge me dire mais alors moi je peux faire quelque chose. Pour moi c’était très important, y a pas d’âge limite, si tu veux faire, tu peux faire même à cent ans. Donc, oui, c’est important, une joie profonde, mais je ne sais pas si j’ai encore bien compris. Mon plus grand bonheur c’est d’entendre le public rire, c’est la vraie émotion, le reste c’est du boulot, mais ça c’est un cadeau, c’est comme… Je ne saurais pas t’expliquer. Je n’arrive pas à me dire « bravo, tu l’a mérité », j’ai toujours l’impression qu’y a quelque chose derrière, peut-être votre Sainte Geneviève. Je crois que je n’ai pas encore tout à fait compris! (rires)

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Interview : Saverio Costanzo théorise

La Solitude des nombres premiers, Saverio Costanzo (2011)

Réalisateur remarqué dans plusieurs festivals et plusieurs fois primé, Saverio Costanzo s’est attaqué pour son cinquième film à l’un des plus grands succès libraire transalpin des dernières années : La Solitude des nombres premiers de Paolo Giordano. L’art de l’adaptation d’un roman, surtout lorsque celui-ci a déjà eu beaucoup de succès, est un art risqué, Saverio Costanzo revient pour nous sur ce travail délicat.

Comment est né le projet d’adapter le livre de Paolo Giordano?

Il est né parce que mon producteur associé avait acheté les droits et me l’a proposé. Sur le coup je ne voulais pas le faire parce que ça me semblait trop populaire pour mon image, enfin, dans le sens que, comment dire, j’avais un peu peur de tant de public qui aurait attendu. Puis Paolo Giordano m’a convaincu. Déjà le livre avait deux images initiales très fortes, de douleur originelle, il réussissait à donner un contexte à la douleur originelle, un contexte, une couleur, une lumière, une situation, enfin c’étaient deux chapitres très réussis et partant de là j’ai pensé que je pouvais faire un bon travail sur la mémoire, aussi de l’époque, genre des couleurs de mon adolescence, mon enfance, c’était une histoire qui concernait ma génération… Alors j’ai fini par me convaincre.

Donc en fait l’envie est venue en travaillant?

Plutôt en travaillant, oui.

Et comment s’est passé le travail d’écriture, c’était difficile de collaborer avec l’auteur du livre?

Non, pas du tout parce qu’il n’était pas lié à l’histoire, il n’y était pas attaché de façon morbide, au contraire. Et on a été très libres de repenser cette histoire aussi, pour ce qui ne pouvait pas marcher au cinéma par rapport à ce qui était écrit. Il me semble que Paolo est un vrai écrivain parce qu’il n’est pas resté trop attaché… Tu sais on a tendance à rester très attachés à ce qui nous a porté chance, lui en revanche, quand on a commencé à travailler, c’est comme si il avait déjà fait le deuil de son histoire et allait de l’avant, concentré sur autre chose. Donc nous avons travaillé en grande harmonie.

Quels genres de changements avez-vous eu à faire?

Eh bien, énormément, énormément. Déjà la linéarité, le livre suivait une chronologie linéaire que l’on a décomposé dans le film. Le roman commençait vraiment avec les accidents des enfants, puis allait sur les adolescents, puis cet âge intermédiaire et puis les adultes. Nous on a laissé les adultes à la fin, mais l’enfance, l’adolescence et l’âge intermédiaire on les a mélangés. Ça me semblait plus juste pour ceux qui connaissaient l’histoire, pour pouvoir dépayser le spectateur. Le cinéma a pour moi la responsabilité de créer un dépaysement, pas de rassurer. Alors voir un film tiré d’un livre dont l’histoire est connue, c’est comme si ça limitait le pouvoir du cinéma qui doit au contraire pouvoir dépayser, remettre en question, surprendre. Si j’avais fait linéairement comme le livre, tout le monde se serait souvenu de ce qui allait se passer, l’idée de décomposition vient justement de la nécessité de raconter la même histoire mais de poser la question différemment, et donc de donner des réponses à qui connaissait déjà l’histoire qui soient différents de celles que lui-même s’était données en lisant le livre.

Et du coup le film a-t-il été bien reçu par les fans du livre?

A mon avis, le film a été mieux reçu par les non fans du livre que par les fans. C’est vraiment deux choses différentes, qui ont un public différent. Mais je suis content, Paolo aussi est content, c’est une autre chose qui naît, ce n’est pas deux choses identiques.

La fin du film aussi est différente du livre, un peu plus heureuse si on veut…

Oui, enfin, si on veut ! La fin du livre me semblait un peu idéologique (l’histoire repose sur la métaphore des nombres premiers voisins, deux nombres premiers qui se suivent sans jamais se toucher, comme les protagonistes, ndlr), je veux dire que ça doive finir avec eux séparés après tout ce qu’ils ont traversé ça me semblait idéologique, dans le sens que c’est ce qui se passe mais c’est comme si tu ne leur avais pas donné la responsabilité d’être adulte, c’est comme si même à la fin du livre ils restaient des adolescents qui se cherchent. La fin du film donne à ces deux-là la responsabilité d’être adultes, elle pose la main sur lui, prenant la responsabilité de l’amour. Donc ce n’est pas un « happy end » parce qu’après, commence l’aventure du couple, et là c’est le début des emmerdes ! Mais au moins c’est une fin, alors que dans le livre ça paraissait ne finir jamais.

L’atmosphère du film est très fantastique et proche du film d’horreur, c’est quelque chose que tu as ressenti à la lecture ?

Non, le livre n’avait rien de fantastique, en revanche il y avait beaucoup de douleur. Et je voulais réussir à rendre cette douleur accessible et j’avais besoin d’un imaginaire fantastique. L’imagerie du cinéma d’horreur donne beaucoup de liberté d’imagination et donc la douleur est immédiatement plus recevable par le spectateur, autrement le livre était porteur d’une douleur qui risquait d’apparaître parodique si elle était mise en scène sans filtre, et le filtre du fantastique me donnait la liberté de l’affronter.

Comment tu as choisi tes acteurs ?

Alors, Alba est une actrice très connue en Italie, Luca je l’ai trouvé dans une école de théâtre par casting, c’est son premier film.

Et ils t’ont plu tout de suite tous les deux?

Oui, oui, puis là tu dois trouver le couple aussi. Mais tous les deux sont des acteurs qui n’ont pas peur de risquer leur vie en jouant, ce sont des acteurs très courageux. Pour le film ils devaient perdre et gagner beaucoup de poids, c’est un sacrifice qu’ils ont fait pour les deux personnages, mais ça leur donnait aussi la possibilité de les rencontrer dans leur corps, ils se sont mis dans ce corps-là, et à mon avis ça les a aidés aussi à vivre cette expérience, d’avoir une expérience tangible, concrète, donc je crois que pour un acteur c’est toujours beau quand on te demande de mettre en jeu ton corps en premier, parce que tu trouves ton personnage sans psychologisme, sans théorie mais dans le concret.

Justement, d’où est venue l’idée d’utiliser le poids pour représenter le temps qui passe ?

Parce que c’était concret, déjà parce que le personnage féminin était anorexique, y avait cette base là. Et puis parce que j’avais besoin d’une ellipse où je n’ai pas besoin de trop expliquer ce qui s’était passé, mais que le corps puisse parler pour eux, enfin que ça soit choquant aussi cette image. Le cinéma selon moi est toujours un ensemble de théories, de pensées, de réflexions et de concret. Tu peux imaginer ce que tu veux, si t’as pas le temps de le faire… Et donc cette ellipse comme ça me donnait la possibilité d’être concret, pour le spectateur de comprendre immédiatement que beaucoup de choses c’est inutile que je te les raconte parce que ce que tu vois est clair et donc d’être plus lié à l’image et pas à une narration forcée.

Pourquoi avoir voulu Isabella Rossellini pour jouer la mère du garçon?

Parce que je l’ai vue dans ce film de James Gray, Two Lovers, dans lequel elle faisait un personnage semblable, et ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vue jouer et je l’ai trouvée vraiment dans l’image que je cherchais. Puis c’est quelqu’un de très maternel mais qui a aussi l’inquiétude d’une mère, elle n’est pas seulement douce, elle a pleins d’aspérités. Et ce personnage selon moi, dans ces quelques traits, devait avoir avoir exactement cette caractéristique.

Dans le film la musique est très importante, plus que la parole même…

Oui, pour donner l’impression de solitude. Eux c’est comme si ils étaient toujours dans un monde très bruyant et confus et ne réussissaient pas à s’exprimer si ce n’est par leur silence, les regards qu’ils s’échangent. C’est comme la scène d’ouverture au théâtre, la musique à un certain moment s’interrompt et reste l’écho, et leur histoire c’est un peu celle-là, très bruyante puis elle s’interrompt mais reste la trainée de ce bruit… Pour donner vraiment l’impression de multitude autour, la vraie solitude est très bruyante, si on est capable de rester en silence, on n’est jamais vraiment seul en revanche c’est dans le bruit que l’on se sent encore plus seul.

La ballade devient possible

La Ballade de l’impossible, Tran Anh Hung (2011)

L’écrivain japonais Haruki Murakami, dont le succès en France va grandissant depuis la parution de Kafka sur le rivage il y a déjà plusieurs années, est peu adapté au cinéma alors que ses livres à la poésie évocatrice s’y prêteraient plutôt bien. C’est pourquoi la sortie de La Ballade de l’impossible, adapté du roman du même nom par Tran Anh Hung est une très bonne nouvelle, pour les fans et les autres.

L’envie de réaliser une adaptation de La Ballade de l’impossible est née chez Tran Anh Hung dès la première lecture du roman en 1994. L’auteur, Haruki Murakami, est plutôt réfractaire aux adaptations cinématographiques de ses romans, ce qui n’a pas découragé le réalisateur. L’auteur a fini par donner son feu vert il y a 5 ans, mais seulement après avoir lu le scénario. Le film, comme le livre, se déroule au Japon à la fin des années 60. A Kobe, Watanabe est le meilleur ami de Kizuki qui sort avec son amie d’enfance Naoko. Lorsque Kizuki se suicide, Watanabe décide de poursuivre ses études à Tokyo. Il y retrouve par hasard Naoko, encore fragile et solitaire. Avant qu’une histoire puisse naître entre eux, elle s’enfuit et se réfugie dans une maison de repos. Quand elle reprend contact avec Watanabe, celui-ci est partagé entre elle et Midori, une fille drôle et pleine de vie qu’il vient de rencontrer.

Tran Han Hung restitue l’univers désenchanté qui a fait le succès d’Haruki Murakami, mis en valeur par le décalage entre les violents mouvements étudiants et l’errance de Watanabe. En plus d’une photographie très soignée (par Mark Lee Ping-bin, à qui l’on doit aussi celle de In the Mood for Love), une bande-originale envoutante de Jonny Greenwood ( There will be blood), la beauté plastique du film est accentuée par celle des acteurs, dont beaucoup ont débuté dans le mannequinat et possèdent cette aura propre aux mannequins.

Restituer la douceur lente caractéristique d’Haruki Murakami était délicat et pourtant le défi est relevé. La poésie du texte est traduite en image avec beaucoup de délicatesse, sans trop tomber dans des longueurs, malgré les 2h15 de film. Seul reproche possible, à trop vouloir être fidèle à l’esprit du texte, on pourrait se demander pourquoi faire un film quand le livre existe déjà. Pourtant le film a un charme qui lui est propre, difficile à expliquer mais bien réel et saura sûrement séduire aussi bien les inconditionnels de l’écrivain japonais que ceux qui n’ont pas la chance de l’avoir lu.

Je vous aime bien

HH, Hitler à Hollywood, Frédéric Sojcher (2011)

Micheline Presle n’a pas de regret, si ce n’est celui de n’avoir jamais pu voir le film dont elle est le plus fière : Je ne vous aime pas de Luis Aramcheck, jeune réalisateur d’avant-guerre très prometteur, mystérieusement disparu en 1947. Touchée, Maria de Medeiros, en plein tournage de son documentaire, Mystérieuse Micheline Presle, décide de retrouver ce film pour que le souhait de l’actrice puisse enfin être réalisé. Elle ne se doute pas que la disparition de Luis Aramcheck est liée à un complot manœuvré par le machiavélique sénateur américain John McBridge dont l’ambition est d’inonder les salles européennes de films américains au lendemain de la guerre, tout cela dans le but de faire la promotion de l’American Way of life, suivant l’idée de Franklin Roosevelt : «Envoyez les films, les produits suivront»…

Réalité et fictions sont savamment tressées par Frédéric Sojcher, le réalisateur de cet ovni cinématographique. Si la plongée dans le thriller nous éloigne progressivement de la réalité factuelle, la réflexion sur l’importance culturelle du cinéma, sur la compétition déloyale entre cinéma européen et américain est on ne peut plus authentique.

HH est également une ode aux actrices, à Micheline Presle comme à Maria de Medeiros, magnifiquement mises en lumière par un jeu de contrastes, entre noir et blanc et couleurs flamboyantes, une réminiscence de la photographie des années 30-40 qui découpait les silhouettes lumineuses des vedettes dans l’obscurité. Un film à la forme singulière et à l’humour jouissif.

Sortie le 4 mai 2011

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Un corbeau passe…

Des Filles en noir, Jean-Paul Civeyrac (2010)

Les films sur l’adolescence se suivent et ne se ressemblent pas. Parfois réussis, parfois pas, toujours en recherche de douceur poétique, ils ne sont pas tous capables de représenter sans clichés la souffrance adolescente. Des Filles en noir fait partie de ceux qui ont su, sans lourdeur ni moquerie, raconter l’amitié entre deux jeunes filles en marge, leur spleen et leur douleur.

Le film

« Des filles en noir », des ongles noirs, des vêtements noirs, des idées noires, du romantisme noir… Voilà les ingrédients principaux du film de Jean-Paul Civeyrac. Dit comme ça, le film fait un peu peur, c’est sûr. Difficile quand on parle d’adolescence dépressive et de tentatives de suicides de ne pas sombrer dans une noirceur pesante et peu digeste. Mais ici ce n’est guère le cas. Les deux protagonistes, Noémie (Elise Lhomeau) et Priscilla (Léa Tissier), sont très justes, touchantes. L’origine de leur mal-être n’est pas définie précisément – mais peut-on jamais trouver les causes exactes d’un mal-être ? L’échec des institutions (école, hôpital, police, parents – les pères sont totalement invisibles), l’absence de perspectives d’avenir un tant soit peu engageantes, la petitesse d’une vie de province, le manque d’absolu : du sociologique au philosophique, le film joue avec une vaste palette de motivations, jamais assénées mais toujours effleurées rapidement, avec délicatesse.

L’envie de mourir est ici présentée comme une force vitale, un feu ravageur qui anime les jeunes filles et les consume. Elle n’est pas un renoncement mais une ascension vers un absolu si convoité. Noémie et Priscilla ont su créer une forme d’amitié et une compréhension parfaite et totale, ce qui ne signifie pas qu’elles soient l’une le double de l’autre. Leur caractère sont même très différents, Noémie est très froide et impassible alors que Priscilla est plus irascible, elle crie, pleure, fait des crises terribles, parfois sans raison. Pourtant un lien très fort les unit, rares sont les plans qui les sépare, le plus souvent si elles sont ensembles, elles sont l’une contre l’autre, se confondent l’une dans l’autre à l’image. Des Filles en noir est autant un film sur l’amitié que sur l’adolescence ou sur le suicide des jeunes, un film très riche donc et surtout très beau.

Le DVD

Un seul bonus vidéo dans le DVD, mais, une fois n’est pas coutume, la qualité compense la quantité. C’est donc court-métrage réalisé par Jean-Paul Civeyrac pour le webzine Blow up diffusé sur Arte.tv, Louise, le dimanche, qui est proposé. On y voit une jeune femme se préparer, accomplissant des gestes quotidiens, s’habillant, se coiffant, alors qu’une voix nous lit des articles de journaux datant du 30 décembre 1895, au lendemain de la première projection de cinéma de l’histoire au Salon Indien du Grand Café. A travers ces articles émerveillés, on redécouvre la magie du cinéma, qui permet aux personnes filmées d’accéder à l’éternité. Un petit objet cinématographique qui fait joliment écho au désir d’absolu des protagonistes des Filles en noir.

On trouvera également un petit livret contenant un article tiré des Inrocks du 3 novembre 2010 écrit par Serge Kaganski, un autre du Trafic n°77 du printemps 2011, rédigé par Jacques Bontemps, ainsi qu’un entretien du réalisateur avec l’écrivain Yannick Haenel. Tous ces textes permettent d’approfondir considérablement l’expérience du film et sont des bonus précieux.

DVD disponible le 5 avril chez Les Films Pelleas

Happy Birthday to me!

Nous y voilà, le blog a un an. Une toute petite année. En années-chien ça en fait 7 quand même. Il était temps de faire un peu peau neuve, mixing it up.

Ce soir il y aura aussi une mise à jour des liens, vous allez pouvoir découvrir tout un tas de nouveaux trucs chouettes. Vous remarquerez aussi l’apparition d’un gros nuage de mots-clefs, parce que les nuages sont super en vogue ces temps-ci j’ai remarqué.

Voilà, tout ça n’est pas grand-chose mais ça marque un peu le coup. Et je sais que sur internet personne n’aime le changement, moi la première alors je vois venir avec vos « ah non caca c’était mieux avant ». Ca suffit espèces de vieux réac de la toile, vive le botox et les ravalements de façade!*

*Vos remarques sont quand même les bienvenues hein, et je vous aime bien sûrs mes petits lecteurs en sucre. A tchao bonsoir. Bonjour. Quelle heure il est?

Les aventures de Robert le pneu

Rubbert, Quentin Dupieux (2010)

Rubber, l’Objet Cinématographique Non Identifié américain du frenchy Quentin Dupieux, également connu sous son pseudonyme musical Mr Oizo, débarque en DVD pour notre plus grand plaisir.

Rubber, c’est l’histoire de Robert le pneu. Robert est plus qu’un simple pneu, c’est un pneu assassin. Animé par une rage dévastatrice, il détruit tout et tous sur son passage. Pas totalement dénué de sentiments, Robert s’émeut devant une pile de pneus brûlants, ne supporte pas l’humiliation et surtout tombe amoureux d’une jeune femme (Roxane Mesquida). Les aventures de Robert sont suivies au loin par un petit groupe de spectateurs munis de jumelles. Film explorant plusieurs niveaux de narration, Rubber enchaîne les mises en abymes vertigineuses. D’abord confinés dans leur place de spectateurs, ces derniers finissent par interagir avec la « fiction » jusqu’à ce que les deux univers ne se confondent totalement. Questionnant ainsi la relation sado-masochiste entre le spectateur et le film. Le public sera malmené, affamé, empoisonné, jusqu’au cri révélateur : « C’est comme ça qu’ils traitent les spectateurs ? ».


Quentin Dupieux a surtout voulu faire une ode au « no reason », comme nous l’explique un des personnages au début du film. Le « no reason » c’est cet élément essentiel à toute narration, cette part d’inexplicable qu’il faut accepter. « Pourquoi se passe-t-il telle chose? – No reason » mais je l’accepte car il s’agit d’une fiction, il faut bien qu’il se passe quelque chose plutôt que rien. Dans Rubber, le « no reason » est systématisé et devient la figure dominante du scénario. Avec beaucoup d’humour et une esthétique soignée et à la beauté rare, Rubber est une ode au non-sens et une remise en question totale des conventions narratives, un film totalement barré.

Las, la partie bonus du DVD est bien moins inventive que le film. On rêvait d’une interview de Robert le pneu, on se retrouve avec une simple bande-annonce. Les mieux équipés se tourneront donc vers le Blu-ray qui propose des entretiens avec Quentin Dupieux, Roxane Mesquida, Jack Plotnick, un clip musical et un morceau inédit ainsi qu’une vidéo sur l’explosion des têtes.

DVD et Blu-Ray disponibles chez Blaq Out

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