Antipasti néo-réaliste

par silenceonmange

Ceci est le premier d’une série d’articles qui se veulent être des petites leçons de cinéma très modestes et très succinctes sur différents sujets proposés par les lectrices de MadmoiZelle. J’ai décidé de les retranscrire ici sous le nom d’amuse-bouches parce que j’espère que ces petits aperçus historiques vous donneront envie d’approfondir les sujets qui seront abordés! On commence donc par le néo-réalisme italien.

Terme souvent déjà entendu quelque part, pas toujours compris, qu’est-ce que le néo-réalisme italien ? Tout d’abord, dans néo-réalisme italien il y a néo, réalisme et italien. On devine que le mouvement se déroule en Italie, qu’il s’inspire du Réalisme, vous vous souviendrez qu’il s’agit d’un mouvement artistique et littéraire de la fin du XIXème siècle qui, en réaction au Romantisme a cherché à peindre et à décrire le monde le plus proche de la réalité possible, mais c’est aussi un terme qui qualifie le cinéma français des années 30, en particulier celui de Renoir avec lequel plusieurs réalisateurs italiens ont travaillé. Enfin, néo, c’est parce que ça se passe dans la matrice c’est une nouvelle sorte/un nouvel élan du réalisme entre 1943 et le début des années 50.

Etat des lieux de la Botte

Un soldat américain et un jeune italien dans Paisa

Pour comprendre le néo-réalisme, il faut d’abord comprendre où en est l’Italie en 1943. Après 20 ans de dictature, une occupation allemande et le début de l’occupation américaine, l’Italie n’est plus qu’un champ de ruines, dans tous les sens du termes. Les bombardements ont littéralement détruit presque toutes les villes, et la propagande mussolinienne a endormi les esprits italiens depuis les années 20, notamment à travers le cinéma appelé des téléphones blancs. La guerre et ses horreurs, les occupations sont un réveil brutal pour l’Italie qui réalise sa soif de vérité après des années de mensonges.

De plus, en 43 et suite à la destitution de Mussolini et à l’alliance du Roi avec les alliés, l’Italie vit une vraie guerre civile entre ceux qui continuent à soutenir les allemands et le fascisme et ceux qui au contraire se rangent avec les alliés. Une grande partie du monde du cinéma a quitté Rome pour suivre le gouvernement fasciste à Salò, les studios de Cinecittà deviennent un véritable camp de réfugiés où viennent s’abriter les romains sans toits.

C’est dans cette confusion, au milieu d’horreur et de violence que naît un mouvement qui sera le point de départ des différentes modernités cinématographiques européennes dans la deuxième moitié du XXème siècle.

Entre contraintes et élan de vérité

Le néo-réalisme n’est pas une école, il n’y a pas un manifeste autour duquel les réalisateurs se seraient réunis. Le néo-réalisme naît à la fois du besoin de vérité, des contraintes économiques et du manque de moyen. Cinecittà étant déserté par les professionnels et proche du champs de ruine, les cinéastes n’ont pas d’autre solution que d’abandonner les décors artificiels pour aller filmer à l’extérieur, au milieu des ruines, dans les banlieues misérables, dans les rues désertes, ou au milieu des foules se battant pour du pain. Les acteurs “légitimes”, connus et reconnus d’avant-guerre, sont pour la plupart exilés, on tourne alors avec des non-professionnels, des “vrais gens” qui racontent leur “vraie histoire”, ou bien des acteurs de cabaret et d’autres genres mineurs du théâtre.

Par refus de l’artifice, ainsi que par manque de pellicule, on fait le moins de prises possibles, les scènes sont souvent filmées en plan-séquence, le montage, associé au mensonge hollywoodien, est souvent réduit au minimum. De même, on voit une inversion des valeurs entre temps forts et temps faibles, les scènes “d’action” sont souvent ellipsées ou réduites au strict minimum et l’accent est mis sur les scènes d’inaction, les trajets etc., ce que l’on retrouve beaucoup par la suite dans le cinéma européen du XXème. La porte est ouverte à l’apparition du personnage-spectateur, contraire héros hollywoodien toujours en action.

Les thèmes de prédilection sont l’humiliation, le chômage et la pauvreté, les vols qu’elle oblige, parfois la prison montrée comme une injustice. Les scénaristes s’inspirent de ce qu’ils voient, de la misère qui se déroule au moment même du tournage. Rome ville ouverte (Rossellini, 1945) est tourné alors qu’effectivement la ville n’est pas encore tout à fait libérée, le but est de livrer un témoignage le plus proche possible du documentaire, sans pour autant renoncer à la dramaturgie qui permet l’identification et donc l’émotion.

 

Anna Magnani se bat contre les soldats allemands qui viennent d'emmener son amant dans Rome, ville ouverte

Deux figures majeures

Il est difficile de définir exactement qui et quoi rentre dans la case “néo-réaliste”, comme on a du mal à mettre une date de début et de fin, d’autant plus que le mouvement a continué à inspirer les réalisateurs européens pendant longtemps (la Nouvelle Vague n’aurait probablement pas existé sans le néo-réalisme). Si on fait souvent commencer le mouvement par Ossessione de Luchino Visconti (1943), c’est sûrement Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini (1945) qui en est le premier grand succès et qui lui donne toute sa visibilité. Avec Paisà (1946) et Allemagne, année zéro (1948), Rossellini a réalisé la trilogie la plus représentative et la plus significative du néo-réalisme. Rome, ville ouverte décrit le monde sous-terrain de la Résistance italienne, Paisà retrace le parcours des libérateurs américains, du Sud vers le Nord en 6 petits épisodes qui correspondent à des lieux clés de la libération, Allemagne, année zéro, enfin, est le plus éloigné du néo-réalisme, et pourtant celui qui fut le plus remarqué et qui consacra Rossellini. On y voit un jeune allemand, Edmund, d’une douzaine d’année errant dans un Berlin détruit, dont la famille cherche à se retrouver et dans une Allemagne qui cherche à se remettre du nazisme.

 

Edmund, à droite, dans Allemagne, année zéro

Autre figure incontournable, Vittorio De Sica avec Sciuscià (1946), Le Voleur de bicyclette (1948), Miracle à Milan (1951) et Umberto D (1952) entre autres, livre des oeuvres plus portées sur le pathos mais non moins poignantes et qui lui vaudront deux oscars (Sciuscià et Le Voleur de bicyclette) et une Palme d’Or (Miracle à Milan).

Le mouvement s’essouffle vite dans les années 50, trop extreme pour faire long feu, mais ses quelques années de vie auront suffit à marquer profondément le cinéma italien et européen.

Si il faut choisir parce qu’on peut pas tout voir dans la vie je vous conseille  de regarder :

Rome ville ouverte, Roberto Rossellini (1945)
Allemagne, année zéro, Roberto Rossellini (1948)
Bellissima, Luchino Visconti (1951)
Le Voleur de bicyclette, Vittorio De Sica (1948)
Umberto D., Vittorio De Sica (1952)

Sources :

Le cinéma italien de 1945 à nos jours, Laurence Schifano

Article wikipedia sur le néo-réalisme
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